2008-09-21

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Retour du royaume des ombres

‘Trở Về Từ Cõi Chết ’ écrit en Vietnamien par Tô Vũ

Traduit en Français par Marie Colombe Bach

Tous droits réservés par l’auteur Tô Vũ


***


C'était un dimanche, le 15 du mois de Novembre 1981, je me rendais à la pagode parisienne Khánh Anh pour rendre un dernier hommage à mon ami décédé deux mois plus tôt à Saigon. Après la cérémonie de prières, nous nous rendîmes à la salle commune pour déguster les spécialités végétariennes qui font la renommée de cette pagode. Je m'étais retrouvé en compagnie de la famille du professeur Nguyễn et de son neveu Minh que j'avais rencontré autrefois à Saigon , lors de mes visites chez le professeur. Minh et sa femme Liên portaient le deuil et au cours de la conversation Minh me fit savoir que le père de Liên est un dénommé Bình, commandant de l'armée de l'air vietnamienne.

A Saigon , je comptais parmi mes amis un certain commandant Bình , je me demande ce qu 'il est devenu car j'ai perdu le contact avec beaucoup de mes amis depuis mon départ de Saigon en 1973 ; je demandai alors par cusriosité à la jeune femme :

- J'avais connu autrefois un commandant de l'armée de l'air, du nom de Bình. En 1972, il était pilote de chasse. Il habitait à la rue Trương Minh Giảng . J'étais allé chez lui plusieurs fois en 1971-72 ; est-ce-que par hasard, vous auriez un lien de parenté avec lui ?

La jeune femme avait un je-ne-sais-quoi qui me rappelle mon ami ; de son côté elle m'examinait aussi attentivement à la question posée et soudain, son visage s'éclaira :

- Mais oui ! C'est cela ! Vous êtes oncle VÛ. En 1971-72 vous étiez venu plusieurs fois à la maison, j'étais à l'époque étudiante à la faculté des Lettres à Saigon. Hélas, mon père est décédé d'un accident de voiture en 74, nous vivons maintenant ma mère et moi à Toulouse.

- Mon Dieu ! quelle ironie du sort, un pilote de chasse à travers tant de combats, après tant de blessures dont il s'en était sorti et il a fallu qu 'il décède d'un banal accident de voiture. Comment cela s'est-il passé ?

- Au début de l'année 1973, l'avion de mon père a été touché par la défense anti-aérienne. Il fut décoré de la médaille de guerre, puis affecté au quartier général de l'état-major ; depuis lors, il ne volait plus. Un jour en Juillet 1974, mon père conduisait ma mère et mon frère vers Dalat et c'est alors qu 'il eut ce terrible accident qui a tué mon père. Ma mère ne fut que blessée et mon frère s'en était sorti indemne. L'accident qui a couté la vie à mon père est absolument étrange et des faits inexpliqués se sont déroulés par la suite.

- Etrange, que veux-tu dire par des " faits inexpliqués" ?.

La jeune femme devint pensive :

- C'est une histoire difficile à croire; je n'ose la raconter de peur que les gens ne me prennent pour une folle excentrique. Pourtant toute ma famille est au courant des faits et l'ont vécu eux-mêmes.

- Tu peux me la raconter; je te fais confiance et je suis aussi l'ami de ton père.

- Puisque vous le dites, je me rends à vos raisons, et puis, les faits se sont déroulés depuis tellement longtemps que je pense pouvoir raconter les faits simplement sans plus. Je vais vous les relater en détails.

- Vous aviez dit que votre mère et votre frère ont quitté Saigon au moment des événements de 1975, comment se fait-il que vous ayez à fuir par la mer ?

- Encore un signe du destin, ne le pensez-vous pas ? Le jour de la chute de Saigon, j'ai eu un malheureux accident de la circulation et la jambe cassée, j'étais alors obligée de rester par conséquent avec mon oncle Bích, le frère de ma mère et sa femme. Ma mère avait du se résigner à emmener mon frère et partir avec le frère de mon père , mon oncle Hoà ; quant à l'autre frère de mon père, oncle Yên , il était en mission dans la région du centre et n'avait pu revenir à temps.

Quelques jours après, nous nous sommes retrouvés et voici l'étrange histoire que m'a relatée Liên sur la mort de son père.


***


Bình était en train de charger la voiture une Peugeot 404 noire pour partir en villégiature à Dalat avec sa femme et son fils. Il fouillait dans le panier à provisions :

- Chérie, dis-moi, qu'est-ce tu as amené de bon à manger pour la route ?

- Quelques sandwiches au jambon, pâté. Est-ce que tu veux prendre quelque chose d'autre ?

- Je voudrais rajouter une bouteille de whisky Black and White, qu'est-ce que tu en dis ?

- Il y en a déjà sur place à Dalat , nous n'en avons pas besoin !!

- S'il te plaît, c'est pour la route

- Mais non !! l'alcool est dangereux, tu n'en as vraiment pas besoin ; arrête ! Bois de la bière, ça suffira !!

- S'il te plaît !! la toute petite bouteille qui est restée depuis pas mal de temps au frigidaire. Et puis, avec la bière je suis obligé d'aller saluer les arbres tout au long de la route, ils n'ont pas vraiment besoin de moi pour reverdir.

Liên sourit. Toujours le même "plaisantin" , son père !! un pilote de chasse vieilli certes mais toujours aussi beau gosse, une vraie vedette de cinéma , pourquoi pas le très séduisant Gregory Peck !! Il était de grande taille, encore assez bel homme pour ses 42 ans; c'était un des premiers pilotes de chasse du Vietnam, il avait été envoyé à l'école de l'air à Marrakech. Dès son retour, il avait été immédiatement affecté à des postes de combat au coeur du danger; blessé maintes et maintes fois, il a fini par être touché à la poitrine ce qui lui a valu une décoration, la médaille de guerre et désormais cloué au sol au quartier général de l'état-major des armées au poste de "Rien-à-Faire dégustateur de thé".

L'albatros aux ailes brisées... Cependant rien ne pouvait entamer sa bonne humeur et jour après jour, en gentleman il "prend son parapluie pour sortir et rentrer avec" , la routine de tous les jours: Famille, Boulot, Dodo, la bouteille pour distraire cette "mélancolie de Dix mille ans". Liên est intriguée cette "mélancolie de Dix mille ans " ! Qui et Quelle est-elle pour poursuivre ainsi l'homme sur 100 ans et sur 100 générations ?? !! A vrai dire, ce n'est ni plus ni moins qu'un prétexte, une justification assez futile de cette manie de boire qu'ont tous les hommes !!

Finalement, la bouteille de whisky prit quand même place dans le panier avec quelques amuse-gueule pour accompagner ! Liên sourit. C'est toujours ainsi, sa mère est une femme douce et conciliante, toujours à l'affut pour faire plaisir à son mari, ses enfants ; elle avait su que sa mère était autrefois la reine de beauté du grand lycée des jeunes filles à Hanoi. Elle avait reçu une éducation de femme évoluée, et en même temps toujours pratiqué le très strict code confucéen envers la femme de jadis. Une épouse avec cette force de caractère est rare de nos jours, Liên ressent pour sa mère une tendre admiration.

- Chérie, nous partons ! Bình s'adresse à sa fille. Il est 6 heures, nous devrions arriver vers 4 heures de l'après-midi, si la voiture ne fait pas des siennes sur la route ! Samedi, j'irai te chercher à l'aéroport, avant de partir, n'oublie pas de passer un coup de fil à oncle Dinh pour nous prévenir. Va te coucher un peu plus tôt ce soir, ne te stresse pas trop, tes examens vont bien se passer, tu verras.

- Oui, ne t'inquiète pas, je vous rejoindrai Samedi à Dalat. Liên répondit à son père.

- "Bye,bye" grande soeur , bisous !! . Nam, son frère agitait sa main pour lui dire au revoir.

- "Au revoir ! Si jamais, tu trouves une copine à ton gout, ne gambade pas trop, tu risquerais de te casser une jambe ha! ha! bisous,bisous !

Le père de Liên met le moteur en marche, Liên commence à s'éloigner, sa mère fait les dernières recommandations :

- Tout ce qui reste au frigidaire, tu donnes tout à madame Huit puis tu débranches le frigo. Son salaire du mois, je le lui ai déjà donné, tu n'as pas à t'en occuper. Au revoir, chérie !

- Oui, maman, tu peux compter sur moi.

- "Bye, bye" son père le lui dit une dernière fois.

- Faites bon voyage, à Samedi !!

Liên agite sa main, la voiture s'ébranla, disparut au coin de la rue et Liên rentra tranquillement dans la maison, elle n'est pas partie avec sa famille parce qu'elle avait une dernière épreuve à passer pour la session et ses parents ne pouvaient pas l'attendre, car, demain matin, toute la famille de sa mère doit se réunir chez l'oncle aîné Đính à Dalat, pour commémorer son grand-père disparu. Elle ira les rejoindre Samedi pour passer un mois de vacances.


***


Liên, anéantie, reposa mécaniquement le combiné. La voix au téléphone l'avait tétanisée, son coeur s'était arrêté de battre, elle avait les membres lourds, et avait beaucoup de mal à tenir debout :

- Allo ! est-ce que je suis bien chez le commandant Trần trọng Bình ?

- Oui, c'est bien ici, mes parents sont absents. Puis-je savoir c'est de la part de qui ?

- Vous êtes bien la fille du commandant Bình ? le commandant Bình qui travaille à l'état-major, n'est-ce pas ?

- Oui, c'est bien moi.

- Je suis officier de police à Lâm Đồng. Je suis navré, j'ai une très mauvaise nouvelle. Vos parents ont été tués dans un accident, votre frère est indemne; il faudra que vous veniez rapidement pour les formalités.

Un courant froid descend le long de son dos et lui glace le corps, ses mains agrippent le chambranle de la porte, elle s'effondre comme une masse sans un mot ; des convulsions lui secouent tout le corps...

A l'autre bout du fil, l'officier de police essaie de rappeller : " Allo, allo ?? " Liên réussit à articuler quelques sons inaudibles puis repose le combiné... Elle est totalement tétanisée , ne sachant plus rien comme si son cerveau avait volé en éclats ! Que lui arrive-t-il ? "Papa! Maman! papa! maman!". Deux rangées de larmes coulèrent silencieusement , deux sillons chargés. Et elle ne sait comment, épuisée, elle sombra dans le sommeil...



La sonnerie du téléphone la réveilla en sursaut, elle se demanda où elle était, elle se croyait en train de traverser un mauvais rêve, un cauchemar. Au bout du fil, c'était son oncle Yên :

- Liên tu es là ? c'est moi, oncle Yên. Tes parents sont-ils bien arrivés ? Ont-ils téléphoné ?

C'est alors que Liên éclata en sanglots, entrecoupés de hoquets, elle annonça la terrible nouvelle à son oncle. Monsieur Yên affolé s'écria : "Non, ce n'est pas possible ! tu ne bouges pas, je vais appeler la police de Lâm Đồng . Toi, tu appelles oncle Hoà, Bích, Ninh". Il coupa brutalement la communication sans attendre sa réponse.

Liên appella le frère de son père l'oncle Hoà, puis les deux frères de sa mère Bích et Đính puis leur annoncer ce qui vient d'arriver, le funeste accident.

Une demi-heure après, tout le monde était là espérant une infirmation de la terrible nouvelle. A la sonnerie du téléphone , l'oncle Hoà se jeta sur le combiné :

- Allo! Allo! C'est toi Yên ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Comment est-ce possible ? Comment est-ce arrivé ??..

- Un grand malheur ! Bình et sa femme ont étét tués tous les deux , c'est un miracle Nam n'a été que légèrement touché, ils ont été tous les trois ramenés à l'hôpital de Lâm Đồng . Quel malheur ! Il faudra que tu demandes un congé de quelques jours pour que nous puissions nous rendre à Lâm Đồng pour régler les funérailles. Tu demanderas aussi à ta femme de nous aider pour réserver les caveaux.


Lorsque Liên et ses oncles Yên, Hoà arrivèrent à l'hôpital de Lâm Đồng ils apprirent que madame Bình était en vie. Au moment de l'accident, sa tête avait heurté la portière, elle était couverte des éclaboussures de sang de son époux, mais était encore en vie. Elle était revenue à elle au service de réanimation des urgences. Par contre Monsieur Binh avait la poitrine complètement défoncée par le volant et décédé sur le coup.

Liên se tourmentait depuis l'annonce de l'accident, elle était persuadée que c'était l'alcool de la bouteille de whisky qui avait fait perdre le contrôle à son père et causer l'accident ; elle se reprochait amèrement de ne pas avoir déconseillé à sa mère de céder au caprice de son père. En réalité, la cause de l'accident était tout autre, elle provenait d'un camion du convoi forrestier, qui s'était déporté, percuté l'arrière du véhicule de monsieur Bình et l'avait envoyé contre un arbre du bord de la route.

Sachant que sa mère est toujours en vie, une joie sans précédent envahit Liên, elle se sentait revivre malgré la souffrance de la mort de son père. Quelques heures auparavant, à la nouvelle du décès de ses deux parents, elle ressentait un vide infini, plus rien ne la retenait sur terre, elle aurait voulu les rejoindre. La perte des deux êtres les plus chers était tellement injuste et insupportable. pourquoi faut-il que le Ciel s'en prenne à des êtres simples et pleins de bonté comme ses parents... Pourquoi favorise-t-il et comble-t-il de bienfaits des criminels, des pervers et autres êtres cruels, sans foi ni loi...cette révolte la tourmentait durant tout le trajet vers l'hôpital.


Liên ne réussit à prononcer que le simple mot de "Maman" la gorge nouée, elle ne put rien dire d'autre, se jeta dans ses bras et pleura à gros sanglots sans pouvoir s'arrêter. Madame Bình étreignait son enfant, tandis que les larmes lui inondaient le visage. Un long moment après, Liên quitta sa mère pour aller voir son frère dans la chambre d'à-côté. Le jeune garçonnet qui allait sur les 10 ans était en train de dormir, il avait du mercurochrome un petit peu partout, ses blessures étaient sans gravité mais la peur se lisait encore sur le visage enfantin . Liên se rapprocha du lit et considéra avec commisération son jeune frère, les larmes lui coulaient sur le visage, le léger bruit l’avait réveillé, qui se mit à sangloter en voyant sa soeur: "Où sont les parents, chi Liên ? mon Dieu ! j'ai peur chị Liên , j'ai trop peur ! ".

Liên n'avait même pas le temps de répondre que son frère continuait: "Où sont-ils maman et papa ? Quand est-ce qu'on rentre ? J'ai trop peur, chị Liên ! ".

Liên s'assit au bord du lit et prit son frère entre ses bras, tentant de le consoler : "C'est fini, tu n'as plus à avoir peur. Maman est dans la chambre d'à-côté , quant à papa..." les mots s'étranglent dans la gorge "papa est mort !". Les larmes à nouveau lui inondaient le visage, malgré sa volonté de calme pour rassurer son frère "oncles Yên et Hoà sont là pour vous ramener maman et toi à la maison, il ne faut plus avoir peur ".

Liên et ses oncles descendirent à la morgue pour s'occuper de son père. Le visage de monsieur Bình avait été nettoyé et on lui avait enlevé ses vêtements et mis un complet gris apporté de Saigon. Il avait une profonde blessure au front, le sang avait coagulé. Liên trouvait le visage de son père un peu pâle et grisâtre, mais il lui semblait que sur les lèvres flottait un léger sourire indiscernable. Elle déposa un baiser sur son front, le visage noyé de larmes.

Madame Bình lui tenait la main, celle qui portait l'alliance et doucement l'appellait " Chéri! Chéri! ". Nam se tenait à côté de sa mère et lui aussi pleurait tout doucement. Les autres membres de la famille, oncle Yên et oncle Hoà eux aussi ne purent retenir leurs larmes.

Le lendemain, vers midi, le corbillard s'arrêta devant le domicile de monsieur Bình, il y avait juste quelques amis proches et parents ; les funérailles se firent simplement selon les voeux de la famille.

Les rites à la pagode et l'enterrement ont été épuisants durant toute la journée ; à 10 heures du soir, tout fut enfin terminé. Durant la journée, Liên n'avait pas réussi pas à prendre un quelconque repos, maintenant elle est épuisée... tellement qu'elle ne pouvait rien avaler, tout lui restait en travers de la gorge. Finalement, elle délaissa le repas du soir, prit un verre de lait chaud et monta se coucher. Sa chambre se trouvait à côté de celle de son frère , séparées de la chambre des parents par une salle de bains. Les chambres des enfants donnaient sur le jardin de la maison.

Liên s'était assoupie pendant une petite heure, puis elle se réveilla à nouveau ; à nouveau, la douleur lui serrait le coeur , elle appella doucement à travers ses larmes "Papa! Papa!"


Soudain Liên eut une sensation de fraîcheur qui lui caressait le front. Quelques instants plus tard, une voix dans le lointain, un son très faible provenait de loin, très loin ... une voix qui prononçait son nom " Liên, Liên " ; la fraîcheur d'un effleurement léger sur son bras... elle crut qu'elle était en train rêver, elle tenta de se pincer pour se réveiller " mais je rêve ! .. ".

Le son bien que très lointain était maintenant audible, c'est bien la voix de son père qui l'appelait " Liên..! Liên, c'est moi ton père ! "

Liên se redressa dans son lit, elle allongea la main, cherchant à tâtons la lampe de chevet ; la voix doucement lui enjoigneait de ne pas le faire "non, ma chérie, n'allume pas! ". Cette fois-ci, elle en est certaine, elle a bien compris, c'était bien la voix de son père, elle reconnaîtrait le son de cette voix entre mille... Intriguée, elle regardait autour d'elle "Qu'est-ce que cela veut dire ?" Liên apeurée se sentait effrayée, elle repensait à ces histoires d'âmes errantes qui n'acceptaient pas leur mort si injuste et revenaient perturber par dépit. Malgré cela, elle parvint à se dominer et à retrouver son calme. Elle commença à scruter minutieusement le noir.

Le visage de son père petit à petit émerga de l'ombre ; oui, c'est bien lui, c'est bien l'image qu'elle avait de lui lorsqu'il avait quitté la maison Jeudi dernier, au petit matin, ce même visage lisse, souriant sans aucune trace de blessure, il est vêtu de sa chemise à manches courtes, son pantalon marron, chaussé d'une paire de sandales.

Il est difficile de décrire très exactement la silhouette pâle de l'homme, de la tête jusqu'aux extrémités des membres... tout semble transparent, cristallin comme réfléchissant, émettant une lumière lunaire, blafarde sans aucune couleur, le négatif d'une photo...

D'une voix qu'elle esaie de rendre ferme et naturelle :

- Papa, Papa est-ce bien toi ?

- Oui, chérie, c'est bien moi lui répondit monsieur Bình.

Maintenant, Liên n'a plus de doute, c'est bien son père, cette "âme errante" qui se tient près d'elle ; elle n'a plus aucune peur et s'écria joyeusement :

- Papa, depuis quand es-tu arrivé ?

- Je suis là depuis longtemps. J'ai toujours été auprès de ta mère et de vous.

- Comment se fait-t-il que nous ne t'ayons pas vu ?

- Le moindre reflet de lumière vous empêche de me voir, c'est pour cela que je ne voulais pas que tu allumes.

- L'accident s'est passé comment? As-tu souffert ?

- L'accident s'est déroulé tellement vite. Lorsque le camion du convoi forrestier s'est déporté et cogné sur l'arrière de la voiture, le choc a été d'une telle violence que la voiture a fait une embardée, je n'avais pas pu maintenir le volant et perdu le contrôle de la voiture ; elle est alors rentrée violemment dans un grand arbre au bord de la route. Ma tête a heurté le pare-brise qui en même temps avait volé en éclats, j'ai juste ressenti un choc violent contre ma poitrine qui vient d'être défoncée par le volant. J'ai juste eu quelques instants de perte de conscience, puis tout était redevenu normal. Je m'étais alors tourné vers ta mère; elle était inconsciente, couverte de sang, sa tête avait heurté la portière ; je me suis retourné ensuite vers Nam qui avait les mains en sang , il pleurait et de nous appellait à grands cris. J'ai voulu ouvrir la portière, mais elle était trop lourde et je n'arrivai pas à l'actionner. Environ, une dizaine de minutes plus tard, sont arrivés les officiers de la police de la route ; ils nous ont déplacé ta mère et moi, c'est à ce moment-là que j'ai compris que ce corps sans vie fut le mien. J'ai entendu très précisément les deux officiers se dire entre eux : "Le couple est décédé, l'enfant n'a que quelques blessures sans gravité". Un des deux officiers a sorti mes papiers et dit: "Ce monsieur s'appelle Tran trong Binh, il travaille au quartier général de l'Etat-major des armées " puis il a appellé la police de Lâm Dong.

- Allo! Rapport d'accident : il vient de se passer un accident mortel sur la route de Saigon-Dalat. La Peugeot NB 784 qui roulait en direction de Dalat, est entrée en collision avec le camion du convoi forrestier numéro 245. le conducteur se nomme Tran trong Bình, commandant en poste au quartier général de l'Etat-major des armées, domicile n° 112/48l prolongement de Truong Minh Giäng à Gia Dinh, téléphone n° 24.356. Le couple est décédé, l'enfant d'une dizaine d'années n'a que de légères blessures. Je les dirige tous trois vers l'hôpital de Lâm Đồng.Terminé "

A l'hôpital, j'étais auprès de ta mère lorsqu'elle s'est réveillée mais elle ne me voyait pas , ni ne m'entendait ; toi aussi ainsi que tes oncles lorsque vous êtes arrivés, je n'avais pas pu communiquer avec vous.

- Papa, ainsi tu avais pu reprendre immédiatement forme ?

- Oui, c'est cela, ma chérie.

- Comment te sens-tu maintenant ?

- Maintenant, je me sens plus léger, je ne suis plus encombré par mon corps matériel.

- Papa! Nous t'aimons tellement, tu nous manques énormément !

- Je sais, ma chérie, vous m'aimez et moi aussi je vous aime, vous me manquez beaucoup tous les trois ! Mais c'est ainsi que va la destinée et nous ne pouvons rien y changer.

- As-tu pu parler à maman et à Nam ?

- Pas encore. Ta mère et Nam dorment profondément, je n'arrive pas à les réveiller, je les appelle en vain. Vas dormir maintenant, je reviendrai demain à 11 heures.


***


Liên au prix d'un violent effort a réussi à se contenir pour ne pas aller de suite réveiller sa mère et lui raconter toute l'histoire du retour de son père. Elle se disait qu'il valait peut-être mieux laisser sa mère dormir, se reposer un peu , cela ne servirait à rien de la perturber au point de la rendre malade et alors ce serait désatreux. Elle lui raconterait tout demain matin, ce sera aussi bien. Elle dut prendre un cachet pour arriver à s'endormir.

Quand elle se réveilla le lendemain, il était déjà 9 heures passées. Elle se rendit dans la chambre des parents, mais sa mère n'y était plus, elle était déjà descendue. Elle alla rejoindre sa mère au salon, celle-ci était en train de se tenir devant l'autel nouvellement dressé dans un coin du salon, sur l'autel était disposé la photo de son père lorsqu'il était encore un jeune homme d'une vingtaine d'années. Liên se disait que c'était certainement la photo du temps de leurs amours lorsqu'ils s'étaient rencontrés .. Sa mère devait tenir particulièrement à cette photo. Sans un mot, elle se dirigea vers l'autel, étendit le tapis et en pleurant, se prosterna devant l'autel du souvenir.

Les oisillons piaillaient dans le jardin, appellant leur mère, dans la cour, les poules caquetaient appellant leurs poussins, les réunissant sous leurs ailes...la maison était située au calme, loin de la circulation frénétique de la ville, le silence des alentours intensifiait l'absence du maître de maison et les cris des animaux ne faisaient qu'aviver davantage la douleur de la mère et de la fille.

Le garçonnet s'était réveillé et criait famine, madame Huit avait discrètement préparé un copieux petit déjeuner et invité la mère et la fille à se rendre à la salle à manger.

Liên en prenant son café au lait observait discrètement sa mère, elle avait bien changé depuis trois jours : son visage amaigri, pâli, sans couleurs, ses yeux gonflés, ses mouvents lents, douloureux. Liên en ressentait une compassion infinie pour sa mère.

Elle ne peut pas dire lequel des deux parents elle affectionnait le plus, elle est certainement plus proche de sa mère. Elle se souvient de ces moments de confidence où la mère parlait à sa fille des vertus, des devoirs de l'épouse, de la mère.. . et puis lorsqu'elle était encore en primaire, les devoirs qu'elles faisaient ensemble, les confidences qu'elle faisait à sa mère, ses petits soucis et puis la mère aussi parlait de ses peurs, de ses angoisses lorsque son mari partait en mission de combat... Tout cela fait que Liên est pour ainsi dire plus proche de sa mère et ressent pour elle une infinie tendresse.

Liên hésitante cherche ses mots:

- maman ... hier j'ai vu papa

- moi aussi, j'ai l'ai vu ; lui répond madame Bình.

- Comment l'as-tu vu , qu'est-ce que tu as vu ?

- Je l'ai vu couvert de sang, il me regardait sans pouvoir dire un mot. Je lui ai demandé s'il avait mal, il avait asquiescé de la tête, les yeux remplis de larmes. Je lui ai demandé s'il avait besoin de quelque chose, il m'a dit qu'il a très froid et que je lui envoie des vêtements chauds. Il disait aussi qu'il nous aime énormément.

- Oh maman, pour moi ce n'est pas un rêve, je l'ai réellement vu comme lors qu'il était en vie. Il m'a dit qu'il ne souffre pas, même que son corps matériel ne le gêne plus.. il se sent léger, libéré. Il dit que tu ne dois plus te faire de souci pour lui.

Madame Bình regarde un long moment sa fille et ne peut s'empêcher de s'inquiéter:

- Tu n'as pas bien dormi, n'est-ce pas ? Tu as l'air éreintée, le visage hagard ; je vais téléphoner à oncle Yen, il va te prescrire des fortifiants ?

Liên pense que c'est bien ce qu 'elle a prévu " sa mère a cru que Liên sous le choc du décès de son père, fait une dépression et délire " :

- Mais non, mère, je me porte bien, ce que je dis c'est la vérité.

Elle rapporte à sa mère dans les moindres l'entrevue de la nuit dernière avec son père et pour donner plus de véracité à ses dires, elle lui confirme le rendez-vous pris pour la nuit qui vient à 11heures, ce soir.

Madame Bình écoute silencieusement sa fille, de temps à autre un éclair de joie passe sur son visage las:

- C'est bien vrai tout ce que tu me rancontes? Tu ne me mens pas ?

- C'est vrai, je t'assure, je n'ai rien inventé. D'ailleurs, si tu veux, tu pourras le voir , ce soir. Je pense que nous devrions même faire venir mes oncles et tantes, tu es d'accord ?

- Oui, tu as raison, tu devrais les prévenir - appelle les, oncles Yên, Hoà et Bích.

- Bien, je vais le faire tout de suite.


***


Toute la journée, le téléphone n'a pas arrêté de sonner soit ce sont les amis de Liên qui s'inquiètent de ne pas l'avoir trouvée dans la salle d'examens, soit ce sont les amis,voisins et connaissances, plus ou moins proches qui présentent leurs condoléances, regrettent de n'avoir pas été prévenus, ils auraient voulu assister à l'enterrement...

Arrivé au soir, après le repas, la famille commence à arriver les uns après les autres, d'abord oncle Yên en premier, puis suivent oncle Hoà et sa femme ; oncle Bích avec sa femme sont arrivés en dernier. Liên à chaque fois a du raconter en détails l'entrevue qu 'elle a eu la nuit dernière " avec son père et tout ce qu'il le lui a dit "...

Tout le monde a écouté attentivement ...bien que l'histoire ait des accents de vérité, tout un chacun a bien du mal à y croire, ils font confiance à Liên, cependant il reste au fond de chacun de grands doutes, ils se demandent si Liên dans sa grande douleur n'a pas perdu le sens des réalités et commencé à avoir des hallucinations ... c'est son imagination... elle ne sait plus faire faire la part des choses... où est la réalité et où est la fiction ? Liên voit bien à travers ces regards dubitatifs que les oncles et tantes ne croient pas totalement à sa version des faits.

Nam est toujours terrifié. Le pauvre enfant, dix ans à peine, ce traumatisme risque de le poursuivre toute sa vie. La terrible image de son père affalé, la tête fracassée à travers le pare-brise, au milieu des débris de verre, ... sa mère inerte, la tête contre la portière, couverte de sang et lui-même les mains sanglantes, les jambes couvertes de coupures .... les coussins de la voiture, partout ce ne sont que débris de verre, des éclaboussures rouges, terrifiantes, une mare de sang. Nam en écoutant l'histoire de sa soeur frissonne de peur, son père dont l'image le hante encore serait devenu "une âme errante" , il avait entendu madame Tam lui raconter toutes sortes d'histoires d'âmes errantes ... Apeuré, terrifié il n'ose plus entrer dans une pièce imparfaitement éclairée.

Le jeune garçonnet fait peine à voir, recroquevillé dans son coin, pleurant doucement ce père adoré. Il était autrefois toujours sur les talons de son père, qui lui racontait toutes ces merveilleuses anecdostes d'avion, des exploits de héros. Il était son Zorro, Superman tout à la fois, son super héros de père ... et maintenant c'est fini, son père n'avait pas réalisé l'exploit de se relever pour l'emporter lui et sa mère loin du carnage encore si présent dans son esprit.

Le soir arriva rapidement, il est bientôt 11 heures à l'horloge de la salle à manger ; sa mère voudrait l'envoyer se coucher, mais il n'y tient pas, d'ailleurs, il aurait trop peur de se rerouver seul, il ira dormir chez sa soeur ou avec sa mère. Malgré sa peur, il veut voir son père...

Tout le monde est sur les charbons ardents, ils se lèvent, s'assoient, vont et viennent sans arrêt. Madame B essaie de garder son calme, elle jette des coups d'œil inquiets vers la porte. Les autres femmes se sont mises à prier devant l'autel du souvenir ; les préceptes de Bouddha sur l'inanité et la vanité des choses de la vie - Vie et Mort , deux compagnons d'un même voyage - madame Bình et sa fille ne peuvent retenir leurs larmes.

Oncle Yên va et vient dans la pièce. Médecin, scientifique, il est habitué au raisonnement logique ... il ne sait que penser, il lui faut une preuve tangible pour croire. Evidemment, il ne met pas en doute la véracité des dires de sa nièce, cependant il a du mal à y croire. Il a vu bien des décès par maladie, des cadavres de soldats tués au combat, ceux des accidentés de la route comme c'est le cas de son frère. Enfin bref, les histoires d'âmes errantes, il en avait entendu pendant l'enfance, mais depuis, ça n'existe plus ! C'est probablement parce que ces racontars ne peuvent pas soutenir leurs thèses devant des raisonnements pragmatiques et scientifiques. Il craint que sa nièce n'ait été trop fortement commotionnée, il en parlera avec un collègue psychanalyste, il saura le conseiller et lui prescrire un tranquilisant.

Monsieur Yên est perdu dans ses pensées, il revoit le moment où lui et ses deux frères ont quitté le Nord pour fuir le communisme, ils se sont battus tous les trois ensemble côte à côte pour survivre. Il lui semble que cet amour fraternel est encore plus important que l'amour du couple, car ils sont frères, sortis de la même matrice quoiqu'ils fassent rien ne peut changer à ce lien de sang. Seul l'amour parental pourrait le surpasser, autrement ....

Les femmes ont terminé leurs prières, les derniers tintements de la clochette ont fini de résonner ; au dehors, le silence est lourd, quelques bruissements des feuilles dans le vent, de temps à autre un jappement lointain d'un chien, le bruit de la ville ne parvient pas jusqu'à eux. Dans la pièce, le parfum de l'encens est entêtant ....

Soudain, Liên sursaute, elle vient d'entendre très distinctement l'appel de son père:

- maman, tu entends? mes oncles, avez-vous entendu ?

Madame Bình: Non, je n'entends rien, qu 'est-ce que tu entends et que vois-tu?

Liên: J'entends papa, il est en train de vous appeler et vous n'entendez rien ?

Tout le monde tend l'oreille. Ils regardent tous Liên avec une interrogation silencieuse.

Liên continue à entendre son père et elle ne comprend toujours pas pourquoi personne d'autre ne l'entend.


Une fraction de seconde, elle se demande si elle n'est pas en train de divaguer et de devenir complètement folle ? Sinon, pourquoi personne d'autre, à part elle, entend l'appel de son père ? La voix de son père continue: "Liên! Liên! est-ce que tu m'entends?" sans hésiter, Liên lui répond: "Si, je t'entends".

La réponse de Liên à son interlocuteur invisible tombe dans un profond silence et fait frissonner tout l'auditoire présent ; ceux-ci perplexes voudraient poser des questions, savoir .....

Liên continue à parler: Maman, tontons, tatas vous n'entendez rien? Et toi, papa, est-ce que tu les entends ?

(un grand silence)

Liên: Toi, papa , tu les entends tous, c'est vrai?

(un moment de silence)

Liên: C'est cela, vous pouvez les questions , je les transmets à papa et je vous rapporte les réponses..

(un petit moment)

Liên: Je suis désolée, j'ai oublié.

Aussitôt Liên se dirige vers l'autel du souvenir et souffle les deux bougies qui encadrent le portrait du défunt. L'obscurité devint alors complète dans la pièce, pas un seul rai de lumière.

L'auditoire poussa une exclamation de surprise. L'image luminescente de Monsieur Bình peu à peu émergeait de l'ombre pour se tenir derrière madame Bình, la main posée sur son épaule ; celle-ci ne s'en aperçut pas tout de suite, ceux qui lui faisaient face étaient les premiers à voir. Madame Bình ne ressentait pas un gramme de poids sur son épaule ; monsieur Bình se tenait probablement dans cette position dès son arrivée.

Il avait toujours la même chemise manches courtes, patalon marron, sandales qu 'il portait le jour du voyage.

Madame Bình se retourna et le vit, elle éclata en sanglots: Oh , mon amour, chéri, souffres-tu ? mon pauvre ami !

Monsieur Bình par la voix de Liên la rassura: Non, chérie, je n'ai pas souffert, j'ai tout au plus perdu connaissance quelques minutes, je n'ai rien ressenti ; je vous ai vus toi et Nam, j'ai ensuite entendu les policiers parler entre eux de ma mort, c'est ainsi que j'ai su que je n'ai plus mon corps matériel, j'en suis totalement libéré.

Madame Bình: Tu nous as quittés si brutalement moi et nos enfants, tu nous laisses seuls, perdus dans notre douleur; la vie sans toi, je ne peux pas… je voudrais te suivre.

Monsieur Bình: Chérie! Ne dis pas ça. Je comprends ta douleur, personne ne veut mourir,c'est la volonté du Ciel .... comme la vie est un don, c'est le bien le plus précieux sur terre, il ne faut pas la détruire. Tu as le devoir de vivre pour la famille et la société. J'étais heureux auprès de toi, de nos enfants, ma fin est si injuste ; mais il en va ainsi, personne ne peut aller contre la volonté du Ciel. Courage ! tu dois vivre pour nos enfants.

Bà Bình: Je sais, tu as raison, mais c'est tellemnt dur de vivre sans toi !

Madame Bình se remet à pleurer:

- Est-ce que tu as rencontré tes parents et les miens ?

- Non, chérie, j'ai essayé mais je ne les ai pas vus.

- Est-ce parce que le Nord est loin pour toi ?

- Non, ce n'est pas ça. Il suffit que je veuille me rendre quelque part pour y être.

Ông Hoà: Est-ce tu as pu voir tes anciens compagnons d'armes?

Ông Bình: Non, je n'ai vu personne. J'ai vu un certain nombre de militaires, mais je ne les connais pas ; par contre, j'ai rencontré monsieur Văn.

- Tu parles de monsieur Văn, du ministère de l'Economie et des Finances qui est mort la semaine dernière?

- Oui, c'est bien ça.

- Est-ce qu 'il t'a reconnu ?

- Si

- Est-ce qu 'il est retourné chez lui ?

- Si, il est rentré chez lui. Il m'a raconté que la première fois qu 'il est rentré, sa femme a cru à une apparition fantômatique, elle n'a pas arrêté de faire ses salamalèques en priant de la laisser tranquille, elle promet de brûler du papier or et argent pour ses dépenses. Enfin bref, il a essayé plusieurs fois encore, mais rien n'y fait, il a fini par se lasser. heureusement que chez nous, notre petite Liên a pu m'entendre sinon je me serai lassé aussi.

Ông Hoà: Et maintenant "comment vis-tu" ?

Ông Bình: Maintenant je suis plus léger, plus àrien qu 'auparavant, je peux me rendre partout où je veux aller, il me suffit de concentrer mon esprit sur l'endroit où je veux aller comme une télétransportation. Je n'ai plus de besoins matériels, ni chaud, ni froid. Seuls les endroits bruyants et trop lumineux m'indisposent, c'est pourquoi, je ne peux me rendre que dans les endroits sombres et calmes. Je peux me rendre visible ou rester invisible.

Madame Bích et madame Hoà ne cessaient de réciter les sûtras mais lorsqu 'elles décidèrent finalement que "l'âme errante" n'a rien de maléfique, elles s'approchèrent et le saluèrent ; elles le prièrent de leur venir en aide pour faire prospérer leurs commerces et autres "petits profits".

Monsieur Bình taquin le leur promirent: - très bien, j'essaierai dans la mesure du possible de vous donner un petit coup de pouce !

Ông Yên: Est-ce que tu as une habitation fixe , si oui, à quel endroit, résides-tu ?

Ông Bình: Je n'ai pas besoin comme sur terre d'avoir une habitation fixe et pas de maison non plus. Là où je me trouve est très différent de ce que vous connaissez sur terre, c'est comme une immense plaine couverte de fleurs, l'air embaume.... les gens sont tous heureux, ils ne sont pas troublés par les sentiments et les passions, sans corps matériels, ils sont libres, pas de maladies, de douleurs ou de besoins ; la lumière est douce, c'est un paysage de rêve.

Ông Yên: Y a-t-il beaucoup de monde et qui sont-ils ?

Ông Bình: Non pas tellement, ce sont tous des vietnamiens.

Ông Yên: As-tu rencontré des connaissances?

Ông Bình: Hormis monsieur Văn du ministère, je n'ai rencontré personne d'autre.

Ông Yên: Ainsi, il doit y avoir d'autres endroits semblables à celui-ci ?

Ông Bình: Je ne sais pas. Là où j'habite, ce doit être une petite station, un relais, un village, que sais-je. Je ne connais pas encore le système d'organisation des lieux, il me faudra un peu de temps pour comprendre. arrêtons-nous là, je n'ai plus beaucoup d'énergie et d'ailleurs, il est déjà plus de deux heures du matin, vous êtes tous très fatigués, disons-nous au revoir et demain, je reviendrai à peu près à la même heure, vers les 11 heures. Il posa sa main sur l'épaule de sa femme, Liên et Nam, dit au revoir à tous et sa silhouette luminescente disparut peu à peu dans le noir.

Liên se précipita pour allumer, la lumière crue réveilla Nam en train de dodeliner de sommeil ; madame Bình restait ébahie, oncles Hoà, Yên, Bích sont tous deux songeurs. Puis chacun retourna chez lui.

La maison retrouva son calme, le vide laissé par l'absence était ressentie douloureusement par la mère et la fille. Toute la journée suivante, madame Bình était occupée à recevoir les amis, proches ou voisins venus pour présenter leurs condoléances par sympathie ou par simple curiosité ; madame Bình ne souffla mot de ce qui était survenu la nuit dernière dans la famille, elle avait recommandé à ses enfants Liên et Nam de garder le secret le plus absolu à ce sujet. Madame Tam, la femme de service heureusement terminait son service à 9 heures tous les jours, ce qui permettait de la tenir en dehors des événements sans grande difficulté. Madame Bình, dès le matin avait téléphoné aux oncles Yên, oncle et tante Hoà, oncle et tante Bích pour leur demander de garder le secret au sujet du retour de leur frère et beau-frère ; elle avait peur que les curieux n'envahissent leur demeure et ne dérangent monsieur Bình, elle désirait que ceci restât strictement entre eux, elle avait besoin de discuter avec son mari de ses préoccupations pour ses enfants, de leur avenir.

Liên quant à elle songe à ces scientifiques qui ne manqueront pas de s’intéresser à ce phénomène paranormal du passage entre deux : le Retour du royaume des ombres . Les médias ne se priveront certainement pas de cette nouvelle à sensation : reportages,enquêtes, inquisitions, ils feront certainement la une des journaux ; rien que des ennuis en perspective pour la famille. Sans compter le service de sécurité qui va les soupçonner d’espionnage ou de trahison, ils vont par conséquent intensifier le système de surveillance... pensant que l’événement a un rapport certain avec les services secrets ennemis etc... Il ne faut pas oublier que son père travaillait à l’état-major des armées. Cela pourrait même devenir dangereux pour elle , sa mère et son frère.

Liên se dit qu’il faudra absolument qu ‘elle soulève toutes ces questions et qu‘elles attirent l’attention de ses oncles sous les conséquences qu’il pourrait y avoir ; elle craint à juste titre que les tantes ne sachent pas tenir leurs langues, ce serait alors désastreux...

Liên se souvient de cet article d’un journal étranger sur la transmission de pensée. Ils s’étaient partagés en deux groupes, l’un des deux sera envoyé en mer et se mettra en immersion sous-marine ; le deuxième groupe reste à terre : à l’heure convenue , le responsable du groupe en immersion émettra en télépathie un message et consignera par écrit le message envoyé, le papier sera transmis au quartier général. De la même manière, au même moment le deuxième groupe resté à terre va réceptionner dans leurs pensées le message envoyé et mettront par écrit pour l’état-major, le message reçu. L’état-major en possession des deux messages envoyé et reçu , à ce moment-là pourront faire la comparaison et tirer les informations sur la réalité ou non de la transmission de pensée . Liên, si elle se souvient bien : l’expérience a été un échec total.

Maintenant Liên comprend pourquoi l’expérience a été un échec ; la transmission de pensée ne peut se faire qu’avec des personnes ayant un fort potentiel télépathique et cette faculté extra-sensorielle n’est pas donnée à tout lemonde. Si d’aventure, ils savent que Liên possède ce potentiel, c’est certain, ils chercheront à la faire travailler sur le programme.


Madame Bich et madame Hoà arrivèrent avec un moine. Ils commencèrent les préparatifs pour la cérémonie des prières pour le repos de l'âme du défunt. Les oncles Yên et Hoà après leur journée de travail se retrouvèrent aussi et tous ensemble ils se mirent à prier pour le cher disparu. La cérémonie terminée, tout le monde se retira, il ne resta plus que les membres de la famille. Liên ferma à clé la porte d'entrée.

L'orage de l'après-midi avait rafraîchi l'atmosphère, l'air était devenu plus respirable et se mêlait à l'odeur de l'encens allumé quelques minutes plus tôt pour la cérémonie de prières. Liên apporta du thé pour tout le monde, madame Bình rappella ses recommandations du matin, son désir du secret absolu sur toute l'affaire. Liên insista sur les ennuis qui s'abbattraient sur eux si l'information venait à filtrer et que les médias, le gouvernement ou comité scientifique avaient vent de l'affaire.

Madame Bích et Hoà pensaient autrement. Si monsieur Bình est comme l'on dit " un saint homme " efficace, il pourrait aider les pauvres gens tout en permettant à la famille de gagner un peu d'argent, il n'y a pas de mal à cela. Si les gouvernementaux et les scientifiques venaient à le savoir, il suffit de collaborer avec eux et de se faire justement rémunérer comme il se doit.

Ông Hoà và ông Bích eux sont plutôt "braves types". Ils sont tous deux des "fonctionnaires de tous les jours". Ils sont réglés comme une horloge, toujours à la même heure, sans se poser de questions, la routine leur a enlevé tout esprit d'initiative et de combattivité. Leurs maigres salaires de "trois sous", par les temps qui courent ne sont pas suffisants pour élever une famille et leurs femmes s'arrangent pour faire des petites affaires pour boucler la fin de mois. En cette époque où la corruption fait loi, le marché noir, la mafia font sortir de leur chapeau, l'argent comme du papier d'imprimerie. Ceux qui ne participent pas à la valse des dollars doivent se remettrent à leurs épouses ingénieuses appelées " Tú Xương "

Mesdames Bích et Hoà appartiennent à cette catégorie de femmes ingénieuses; des " Tú Xương " à la recherche du moindre centime pour arrondir les fins de mois difficiles, c'est pourquoi l'appréhension de la mère et de la fille sont bien au-dessus de leurs entendements, elles ne comprennent que l'intérêt immédiat sans voir le futur néfaste. Monsieur Yên lui est parfaitement d'accord avec la mère et la fille, le danger est réel et c'est ce que lui-même pense aussi.


Monsieur Yên est un homme avisé. A quarante ans, il n'est toujours pas marié trop occupé pour l'instant par les recherches médicales. A sa sortie de la faculté de médecine militaire, il avait été affecté à l'unité des parachutistes et avait suivi les unités combattantes pendant 10 bonnes années. Il finit par être grièvement blessé et fut ramené à l'arrière pour exercer maintenant au service de réanimation de l'hôpital de la République du Viet-nam. En dehors de ses heures de service à l'hôpital, il a un cabinet en ville qui lui permet d'avoir un complément de salaire. Il envisage de partir à l'étranger pour se spécialiser en médecine anesthésiste et réanimation. Il ira jusqu'à l'agrégation pour exercer comme professeur à la faculté de médecine de Saigon.

On dit que dans sa jeunesse, pendant sa dernière année en faculté, il avait rencontré une jeune étudiante en pharmacie avec qui il avait fait des projets d'avenir. Mais en tant que médecin militaire, il était très souvent en mission, ses absences prolongées et répétées avaient fini par indisposer la future belle-famille " prendre pour époux un militaire en temps de guerre... combien de militaires reviendront-ils de la guerre ? ", la belle se rendit à ces raisons et le laissa tomber sans adieu. Ce premier amour l'avait fortement marqué, la blessure ne s'est jamais refermé ; il ne songea plus à se marier et n'en reparla plus jamais, même à son frère le plus proche.

Liên eu vent de l'affaire par ses copines étudiantes, de temps en temps elle chantonnait l'air "Mes petites fleurs violettes" pour le taquiner:


Prendre pour époux un militaire, combien en reviendra-t-il

Si je ne revenais pas,hélas, pour aimer la petite épouse

Mais le soldat est sorti des flammes de la guerre

Et "perdu" la petite soeur restée à l'arrière.


Madame Bình jeta un regard désaprobateur vers sa fille. Quant à monsieur Yên il souria et tout en regardant Liên se frotta la nuque pour lui dire "regarde donc ce qui se passe là juste dans ton dos", pour faire allusion au jeune amoureux de Liên. Le jeune homme, 27, 28 ans est pilote de chasse, il revient des Etats-Unis, beau parleur, charmeur comme tous ces jeunes pilotes célibataires. Liên prétend n'avoir aucun sentiment spécial à son égard. Elle le considère juste comme un jeune frère de son père, un familier de la maison. De plus elle n'apprécie guère ce genre de macho, matador, qui de plus possède déjà une solide expérience de la "vie... amoureuse " elle a d'emblée écarté de ses pensées, encore plus de ses sentiments, non ce n'est pas pour la raison " Prendre pour époux un militaire, combien en reviendra-t-il !"


La nuit est déjà très avancée. Au dehors , il fait nit noire, la lumière blafarde des réverbères éclaire à peine à l'intérieur du halo lumineux. Les villas voisines ont fermé leurs volets, tout le monde est allé se coucher. Liên alla éteindre les dernières lumières, ile ne reste plus que les deux chandelles sur l'autel du souvenir.

Chacun reste silencieux. Nam assis à côté de oncle Yên s'agite quelque peu. Hier soir, il aurait voulu poser une ou deux questions à son père, mais il n'avait pas osé. Depuis le voyage manqué à Dalat, il est resté morose. Une tristesse qui l'assaille sans cesse, il repense à la présence de son père. Il lui trottait toujours sur les talons...Il pense à ces vacances manquées, il comptait bien s'amuser avec ses cousins, au lieu de cela, il reste là, seul à tourner en rond sans savoir quoi faire. Dès qu 'il s'aventure dans la cuisine, madame Huit le renvoie, il va voir sa mère, elle le prend dans ses bras et se met à pleurer, la même chose se passe avec sa soeur qui soupire dès qu'elle le voit. Toute la journée comme cela, il n'en peut plus, ce ne sont pas des vacances. Quand il sera grand, il s'engagera dans les para, comme cela, il ira venger son père ; mais il est trop petit pour le moment, il faudra qu 'il demande à son père ce qu 'il faut faire.

Liên entendit soudain la voix de son père: Liên! Liên! Je suis là !

Liên sans prononcer un mot essaie de communiquer par la pensée: Je suis là ! Est-ce que tu m'entends?

Ông Bình: Je t'entends très bien.

Liên est satisfaite de son expérience, elle peut communiquer par télépathie... elle continue :

- Tu viens d'arriver ? Tout le monde t'attend.

- Oui, je sais

- Je vais dire à maman et à tout le monde que tu es là.

- Oui, tu peux le leur dire.

- Non, attends un peu, je voudrais te demander une chose. Est-ce que tu peux lire dans la pensée des gens, prévoir leurs intentions, savoir d'avance ce qu 'ils vont penser ?

- Non, ma fille. Comme pour les vivants, les êtres sprirituels ne peuvent savoir que s'il y a expression et communication de la pensée.Sans communication télépathique, il est impossible de pénétrer dans la pensée d'autrui. Les êtres supérieurs comme Bouddha et les saints sages, sont seuls capables de cela.

- En dehors des moments où tu reviens vers nous, est-ce que je peux t'appeller?

- Je ne sais pas jusqu 'où tu peux aller, quelle force télépathique tu possèdes et de mon côté, je ne sais pas non plus quel est le degré de mes capacités , demain , essaie voir. Malgré tout, je reviendrai tous les soirs à 23 heures.

- J'essaierai demain. Maintenant je vais annoncer à maman que tu es là.

Tout le monde tourna la tête vers Liên. Monsieur sans tarder commença à apparaître peu à peu, madame Bích éteignit les deux chandelles pour faire une obscurité et l'hollogramme de monsieur Bình apparut plus nettement.

Ông Bình (par l'intermédiairede Liên) : Bonjour tout le monde.

La famille répondit à son salut.

Bà Bình: As-tu eu un empêchement quelconque pour ce retard ?

Ông Bình : Non, mon amie. Je suis là depuis quelque temps mais je parlais avec Liên.

Bà Bình: On ne s'en est pas aperçu, alors tu veux dire que tu peux apparaître ou non à ta guise ?

Ông Bình: C'est exact. je peux apparaître ou non à ma guise, quant au langage je peux utiliser la transmission de pensée ou la télépathie sans avoir besoin du son. Par contre, je peux vous voir, voir votre image.

Ông Yên: Comment est-ce que tu te déplaces?

Ông Bình: Pour les déplacements, je peux me rendre immédiatement à l'endroit désiré en une fraction de seconde. Il suffit que je concentre mon esprit sur l'endroit choisi et j'y suis instantanément. Je n'ai pas besoin d'espace et de temps pour me déplacer , on ne compte pas par année, mois, jour comme dans le monde des vivants.

Peux-tu imaginer un monde où nous ne sommes pas aspirés par l'énergie, aucune contrainte corporelle, aucun besoin élémentaire tels que le manger, l'habillement.. pas de maladie, aucun vieillissement, aucune des souffrances de désir, amour, joie, tristesse, délvré de tout souci , n'est-ce pas le paradis !

Bà Bình: en effet, c'est le paradis, mais que fais-tu des vivants, du devoir de père et d'époux... Qu 'en penses-tu ?

Ông Bình: Tu as raison, les morts manquent à leurs devoirs familiaux de père et d'époux, mais les morts n'ont pas décidé eux-mêmes de mourir. Je te raconte ce qui se passe ici pour informer tout le monde, mais moi-même j'étais comme tout un chacun, désireux de vivre. Les vieux, les malades, chaque être humain s'accroche au moindre espoir de vie, il n'y a que les désespérés qui dans un moment de folie, sont capables de se détruire. Tous, même ceux qui pensent que la vie n'est qu 'un abîme, un océan de malheurs et de peines... tous, tout le monde veut vivre avec l'espoir plus tard d'une vie meilleure.

Ông Yên: Depuis combien de temps es-tu dans cet état ?

Ông Bình: Je n'en sais rien. je ne sais pas si je vais rester dans l'état actuel sans changement ou bien selon la loi de la rétribution bouddhique, je vais retourner sur terre vivre une autre vie...Je constate seulement que jusqu 'à maintenant, je n'ai rencontré personne de ceux qui ont disparu peuis longtemps comme nos parents, des oncles et tantes de la famille. Je suppose qu 'ils ne sont plus de ce monde immatériel...ils sont parvenus dans un autre monde, paradis ou enfer ; ils ont dû se réincarner ou disparaître à jamais !

Ông Yên: Pourquoi ne cherches-tu pas à savoir ce qu 'ils sont devenus ?

Ông Bình: J'ai essayé par deux fois de me concentrer sur le paradis ou l'enfer, mais sans aucun résultat... cela veut dire alors qu 'il n'est pas possible de s'y rendre comme l'on veut, les habilitations ne sont pas données à tout le monde. Cela veut-t-il dire aussi que ces deux mondes n'existent pas et qu 'ils ont été inventés pour faire prendre conscience aux hommes du Bien et du Mal ?

Ông Bích: Ont-ils réincarné dans un autre monde ?

Ông Bình: Il se peut aussi , je n'en suis pas sûr. Si cela se réalisait pour moi, comment pourrais-je alors revenir pour vous informer puisque je ne serais plus dans ce monde immatériel. Ainsi, il n'y a aucune preuve sur cette théorie de la réincarnation, il faut croire en la parole de Bouddha.

Ông Hoà: Je suis tout à fait d'accord avec la philosophie et l'enseignement de Bouddha. Je ne crois pas qu 'il existe un paradis et un enfer, je pense que ce ne sont que des outillages, des moyens , récompense et châtiment pour encourager les gens à bien agir.

Ông Bình: Prouvé ou non, cela fait des millénaires que l'enseignement est professé per de nombreux saints hommes, nous n'avons à remettre tout cela en cause.

Ông Hoà: Je pense simplement que l'humanité a évolué et progressé, l'enseignement doit lui aussi s'adapter à la vie des croyants. En cette fin du 20è et début du 21è siècle les jeunes sont influencés par les civilisations occidentales, nos religieux devraient penser à tout cela et leur donner un enseignement plus proche de la réalité et du temps. Ceux qui suivent l'enseignement se font de plus en plus rares et ne sont plus aussi fervents qu'autrefois. Il faut progresser, leur offrir quelque chose de nouveau sans cela le doute risque de s'installer surtout chez les adolescents qui sont à la recherche de la vérité .

Ông Bích: Tu as entièrement raison, depuis quelque temps déjà, j'ai pu remarquer que effectivement les pagodes ne se remplissent plus qu 'aux grandes occasions comme le Nouvel An, le Jour de Bouddha ou bien lors des décès des proches ou amis. Très peu de gens se consacrent maintenant à la vie religieuse. Peu à peu les jeunes qui grandissent vont délaisser les cérémonies, ne croient plus à la religion et l'activité religieuse va diminuer peu à peu pour disparaître.

Bà Hoà và bà Bích: Messieurs, vous ne pouvez pas parler de cette manière. A di đà Phật (a mi to fo) , épargnez-nous, pardonnez nos fautes, aidez-nous, a mi to fo, a mi to fo.

Nam depuis quelque temps s'agite, il voudrait poser une question à son père, mais n'arrive pas à trouver l'occasion propice ; il profite de l'intervention des deux tantes pour appeller son père: "Pa! papa!"

Ông Bình tourna la tête vers lui. Nam est assis dans les bras de sa mère, il s'arme de courage, il voudrait bien parler à son père, mais il a peur, il ne peut que balbutier: "Pa! papa!" et rien de plus. Monsieur Binh se dirige vers lui pour caresser la joue. Nam a tellement peur, il jette d'un seul coup : "Pa! Je voudrais m'engager dans les paras!" Monsieur Binh s'arrêta net, tout le monde est surpris ! Sa demande est pour le moins risible, car elle est tout à fait inattendue vu les circonstances et son jeune âge .

Ông Bình: C'est bien vrai? Tu veux t'engager dans l'armée ? Tu es encore beaucoup trop jeune ! Attends de grandir encore un peu et puis, on verra après...

Nam: Non, je ne veux pas attendre, je veux m'engager immédiatement .

Ông Bình: Pourquoi es-tu donc si pressé ?

Madame Bình depuis le début de la conversation était restée assise sans rien dire, en entendant Nam parler ainsi, elle crut que le gamin était en train de faire une poussée de fièvre, elle tâtait anxieusement le front de l'enfant:

- Est-ce que quelqu'un t'aurait-il fait du mal pour que tu sois si déterminé ? C'est Petit Bê ou Petit Tèo qui a pris tes jouets, c'est cela, n'est-ce-pas? Ne t'inquiètes pas , mdame Tám ira te les récupérer, demain matin.

Nam: Non, ce n'est pas ça ! Je voudrais m'engager dans les paras pour venger papa.

Ông Bình: Oh ! Mais personne ne m'a jamais rien fait, pourquoi dois-tu me venger ?

Nam: Je m'engage chez les paras, j'aurai un fusil, j'irai tuer le chauffard qui a causé ta mort !

Ông Bình: A`c'est donc ça ! Tu es très courageux, mais si tu pars à l'armée, ta maman va rester toute seule et elle serait bien triste ; tu dois rester avec ta maman jusqu 'à tes vingt et alors tu pourras t'engager. Quant au chauffard, il va passer au tribunal qui fera justice. Ce sont les juges qui le puniront pour sa faute, tu ne dois pas faire justice toi-même, tu n'en pas le droit. Va te coucher maintenant, il se fait tard et tu dois te lever tôt demain matin .

Nam: Je suis en vancances ! Je peux me lever tard. Est-ce que je peux retourner à Dalat chez oncle Ðính, je m'ennuie à la maison !

Ông Bình: Si tu veux, mais désormais tu dois toujours demander la permission à ta mère pour tout ce que tu veux faire.

Bà Bình: Bon, assieds-toi maintenant et laisse ton père parler. Oncle Ðính arrive demain, quand il repartiras tu pourras aller avec lui.

Ông Bích: Tu nous dis que tu n'as vu nos parents et nos amis, cela ne veut-t-il pas dire qũils ont réincarné et reparti vers d'autres mondes ou encore, ils ont peut-être complètement disparu ! Et alors, tous les rituels que nous accomplissons jusqu 'à présent ne sont-ils pas vains ?

Ông Bình: Ce n'est pas ça, le bouddhisme nous enseigne la loi de la réincarnation ou du karma, l'âme demeure éternellement. Chaque religion, chaque croyance a ses principes. Les rites ont été établis pour commémorer les défunts et nous rappeller leurs souvenirs

Bà Hoà: Je te demande pardon, nous voulons seulement avoir les moyens d'élever correctement nos enfants et leur assurer le minimum de bien-être, est-ce que tu as le moyen de nous aider ?

Bà Bích: C'est bien vrai, soeur Hoà a raison. Tu nous avais promis hier soir de nous aider , car en ce moment, nous ne savons pas quoi faire, l'avenir est vraiment sombre.

Ông Bình: Je ne sais pas si j'ai ou non les moyens de vous aider. Avant tout, je n'ai pas de consistance physique et mon esprit est comme tous les autres esprits sans énergie corporelle, cela veut dire que je n'ai pas la possibilité de tenir un quelconque objet comme une simpe feuille de papier. Je ne puis qu'émettre une image virtuelle, fantasmagorique sans réalité physique. Autrefois, c'est ainsi qu'on qualifiait les "fantômes" qui apparaissaient au pied des banians "hantés"... ces images naissent aussi de l'imagination des passants ! Je ne suis pas habilité à exercer des représailles envers qui que ce soit ; tout ce qui disait, par le passé, tel fantôme a jeté une malédiction sur tel patient, aidé tel autre, maltraité, donné une leçon, corrigé tel malotru !... Je ne puis aussi apporter chance ou fortune à la famille, je ne peux pas faire gagner au loto.. Je ne puis tout au plus que voir un peu plus clairement le devenir de chacun dans ses grandes généralités, sans pouvoir donner des précisions détaillées dans les faits.

Ông Hoà: C'est déjà largement suffisant, je n'en espérais pas autant. Savoir où l'on va et son devenir, c'est déjà quelque chose de fabuleux !


Ông Bích: Selon la théorie du déterminisme, toute action, tout évènement a été codifié par avance, par le Destin ou la Destinée. Les anciens disaient : "manger ou boire a été déjà déterminé " c'est-à-dire que toute action aussi petite ou anodine soit-elle a été arrangée, préétablie par avance. Chaque être, dans ce cas, doit avoir un Plan de Vie, où est noté le déroulement de toute sa vie depuis la naissance jusqu 'à sa mort... Est-ce bien ainsi la vérité ?

Ông Bình: Non, ce n'est pas comme cela que ça se passe. Il n'est pas question de Plan céleste qui serait préétabli, qu'il est possible de consulter ; ce serait plutôt de la divination, lorsque je concentre mes esprits sur la nuque d'une personne, il m'est possible de voir des images qui seraient des avertissements sur des évènements dans le futur de la personne. La vie d'un être humain est semblable au trajectoire d'une flèche qui a été tirée pour atteindre un objectif : il s'agit simplement de tourner le regard sur l'origine du tir pour revoir le passé qui s'était déroulé auparavant, de la manière en regardant vers le Futur, il est possible de voir le chemin qui sera suivi dans le temps futur...

Une horloge voisine sonne lentement ses deux coups après minuit. Malgré l'éloignement, les coups étaient cependant bien distincts. Le gecko, accroché au banian du coin de la rue, égrène inlassablement son cri "B¡c Kÿ! B¡c Kÿ!"... Monsieur Bình avait, dans le temps, inventé cette histoire anecdotique : certains paysans, emmenés de force vers le Sud, pour travailler dans les plantations de caoutchouc, sont morts sur place de chagrin. Par nostalgie du pays natal, chaque soir, ils se tournent en direction du nord et lancent leur tragique appel "B¡c Kÿ! B¡c Kÿ!"

Les jappements solitaires d'un chien errant , à deux rues plus loin résonnent dans le silence poignant de la nuit. La maison est plongée dans de profondes ténèbres, les personnes présentes ne se voyaient pas, tout le monde était concentré sur la présence de ông Bình, ils se rendent tout à coup compte du manque de lumière. Le petit Nam, qui était en train de dormir contre sa mère, s'était réveillé en sursaut. Il avait peur du noir et s'était mis à brailler : "Maman, maman, il fait noir, vite, allume... Allume, j'ai peur ! "

Bà Bích assise depuis trop longtemps, voudrait se lever , elle asquiesce vivement à la demande de Nam, mais Liên l'a immédiatement arrêtée :

- Si tu allumes, alors on ne verra plus mon père.

Ông Hoà: Il faut voir si anh Bình est d'accord ?

Ông Bình: C'est cela. M® Bích vous pouvez allumer. Il se fait déjà tard, vous avez tous sommeil, je reviendrai vous voir demain soir, on en reparlera. Bonsoir tout le monde.

Il salua toute la maisonnée et son image se dissipa peu à peu jusqu'à disparaître complètement.


***


Comme la nuit dernière, toute la maisonnée s'était réunie, dès le coucher du soleil, pour attendre la venue de ông Bình. A 11 heures précises, comme la veille, Liên entend son père l'appeler, par télépathie, elle peut s'entretenir avec son père.

- Hier soir, tu disais pouvoir regarder dérouler le futur de chacun d'entre nous ; apparemment , le chemin est tout tracé, il y a quelque chose qui me semble inexact. J'ai la ferme conviction que notre avenir, c'est nous-mêmes qui le créons, évidemment selon de nombreux critères divers et variés. Te souviens-tu de cet ouvrage de Dale Carnegie que tu m'avais fait lire, l'été dernier ?

Ông Bình: Effectivement ? "Triomphez de vos soucis" c'est une version en langue française qui a été traduite de l'anglais .

Liên: C’est exact. Dans ce livre, Dale Carnegie a cité un maxime de Marc Aurèle que je trouve bien juste :’’ Notre vie est celle façonnée par nos pensées ‘’. Ainsi ce n’est donc pas Dieu qui dispose mais c’est bien l’homme, n’est ce pas ?



Ông Bình : D’accord. Notre vénérable poète Nguyen Du a aussi écrit ceci dans son oeuvre en vers sur la vie de Thuy KiŠu : ‘’ De tout temps la volonté humaine a souvent triomphé du pouvoir céleste ‘’. Je préfère les hommes qui parviennent à changer le monde par leurs conceptions et actions concrètes à ceux qui sont modelés par ce monde ou à ceux qui s’humilient bassement devant les événements. La conception :’’S’adapter à tout et à tous au gré des circonstances de la vie ‘’ne reflète qu’une posture passive et constitue une plaidoirie en faveur d’une attitude de jouissance et non celle de lutte et de progressiste.


Liên: Ainsi comment peut-on prédire l’avenir ?


Ông Bình : Nous le pouvons pour la raison suivante. Seul l’avenir déjà accompli est visible. Celui en cours d’accomplissement dépend de nombreux éléments d’influence capables de le modifier, de le chambouler. Selon Dale Carnegie notre pensée façonne notre avenir et selon Nguyen Du, la volonté de l’homme pourrait vaincre le Ciel. Selon la conception des religieux, le fait d’accomplir les bienfaits, de se perfectionner moralement et d’accumuler les actes moraux, de semer les bonnes causes pour récolter de bons effets pourrait influencer notre avenir.


Liên: Je comprends difficilement ce que tu viens de dire. Qu’est ce qu’on peut voir dans l’avenir déjà accompli de tout un chacun ?


Ông Bình: Voici l’explication. Je peux voir l’avenir à court terme d’un homme car j’ai la faculté de remonter dans le passé, de le dépasser, ou de reculer ensuite dans le temps. Ce qui me permet par conséquent de visualiser le passé ou l’avenir proche d’une personne. De façon plus précise encore, pour quelqu’un capable de dépasser le temps, par exemple en se déplacant du point de départ de l’année 1974 vers l’année 1980, il pourrait ainsi voir tous les faits produits dans l’intervalle temporel de 6 années de 1974 à 1980. Mais ma faculté de dépassement temporel reste encore très faible et limité seulement à un ou deux ans, avant ou après. Seuls les surhumains pourront voir très loin .



Madame Bích s'impatienne, il est déjà 11 heures et Monsieur Bích n'est toujours pas encore revenu, elle s'adresse sa belle-soeur Madame Hoà :

- Il est plus de 11 heures et il n’est pas encore là


Liên a terminé sa conversation avec son père, elle rassure tout le monde :

- Ma tante, père est là, je vais aller éteindre la lumière. La chambre est aussitôt plongé dans la pénombre. L'hologramme de Monsieur apparaît petit à petit aux yeux de l'assemblée. Il salue joyeusement tous ses proches.

Bà Bích: Bonjour, comment vas-tu ? Aujourd'hui, peux-tu nous informer de notre avenir ? .

Ông Bình: Très bien, je vais le faire pour chacun d'entre vous .


Tout le monde se lève vivement, même Liên, ils attendent tous avec beaucoup d'appréhension et d'inquiétude. Nam est là, debout près de sa mère. Madame et madame Hoà ont le coeur qui bat si fort qu'elles ont l'impression toutes les deux qu'on les entend à des kilomètres.

Ông Bình se met derrière chacun d'entre eux, il reste quelques bonnes minutes... une fois, le tour fait, il marmone pour lui-même : " Étrange, incompréhensible !" , et de nouveau... fait consciencieusement un deuxième tour, comme pour vérifier ce qu'il sait déjà... Cette fois-ci, il est absolument sûr de ses dires :

- Il y a une chose étrange , que j'arrive difficilement à comprendre. Je vois de grands changements, des bouleversements dans la vie de tous, dans un an ou deux tout au plus. Je vois Monsieur et madame Hoà dans une ville aux États-Unis, Nam et sa mère dans un ptit logement, genre chambre d'hôtel en France, chú Yên lui est rassemblé avec des centaines de personnes , au milieu de la forêt, dans un camp d'internement ; quant à Liên , tu es sur une petite île qui grouille de monde. C'est vraiment étrange... ! incompréhensible !

Tout le monde est supris par cette annonce ; ils sont tous sceptiques... Madame Hoà, doute réellement :

- Ce n'est pas possible, je ne quitterai jamais Saigon, comment, par quels moyens et avec quelle finance, je vais pouvoir m'en aller ? C'est une chose totalement impossible.

Bà Bích: Et nous, as-tu vu quelque chose ?

Ông Bình: J'ai oublié, vous êtes avec Liên sur la petite île pleine de monde...

Ông Yên réfléchit en silence. Il ne pense pas que son frère ait inventé une histoire, qui, est certes, difficile à croire... Cependant, il est persuadé que monsieur a dit la vérité, même si elle semble irréalisable et complètement imaginaire. On est au mois de Juillet 1974, et d'après monsieur les évènements vont se produire dans moins de deux ans, peut-être un an... Il faut vraiment un évènement capital. Se peut-il que madame Hoà ait gagné le gros los lot et se paie à ce moment-là un voyage touristique aux Etats-Unis. Quant à moi, qu’est-ce que je fais dans un camp au milieu de la forêt ? Si je pars en campagne avec l'armée, quelques centaines de soldats, pourquoi dire , alors, que je suis dans un camp d'internement ? Et Liên, pourquoi serait-elle avec monsieur et madame Bích sur une petite île en pleine mer ? Nam et sa mère... C'est vraiment incompréhensible, il ne faut pas se préciper, il faut que Bình revoie sa copie et fasse le point à ce sujet.

Liên, elle aussi, n'y comprend rien, mais, elle a une confiance totale en son père, il a dit la vérité ; comme son oncle, elle aussi, cherche une interprétation valable de ce présage. Madame Bình , n'ayant jamais consulté la divination, est seulement étonnée... Depuis le décès de son époux, elle n'avait goût à rien et ne s'intéressait nullement à tout ce qui se passe autour d'elle. Elle ne ressent que la douleur d'avoir perdu son époux ; si ce n'est à cause de ses deux enfants, Liên et Nam, elle aurait voulu en finir avec la vie pour pouvoir suivre son époux ; elle en veut au ciel de lui imposer cette terrible épreuve du veuvage , de l'absence d'un époux bien-aimé.


Ông Yên: Anh Bình ! Je ne mets pas en doute ta parole, mais je ne peux accepter... tout cela est absurde ! Le futur dépend d'un ensemble de facteurs contradictoires, dépendants du présent et des conséquences du passé. Je suis en proie aux incertitudes qui sont tantôt logiques et tantôt contraires à la raison. Peux-tu ous apporter des preuves probantes ?

Liên: C'est cela, papa, il nous faut des preuves ! Je suis d'accord avec mon oncle ! Est-ce que tu peux nous apporter des preuves ?

Ông Bình: Mais certainement, aujourd'hui, cce n'est pas possible, il faut attendre demain. Je vous le ferai savoir. Bon, il est trad maintenant, que tout le monde aille se coucher, vous êtes tous fatigués.

Il salua l'assemblée et disparut.

Il est déjà quatre heures du matin, mais Liên n'arrive toujours pas à trouver le sommeil, les paroles de son père lui reviennent constamment en mémoire, elle n'a toujours aucune explication à cette incompréhension. Comment se fait-il, pour quelles raisons, se retrouverait-elle sur cette petite île pardue au milieu de l'océan et avec une population immense... A vrai dire, une petite île veut le plus souvent dire, déserte, peu fréquentée... comme ces atolls du Pacifique. Mon Dieu ! et s'il s'agissait de Poulocondor, l'île où l'on enferme les grands prisonniers de droit commun et même les prisonniers politiques !... Mais, pourquoi y serais-je déportée ?... A moins d'être une prisonnière, je n'ai aucune raison de débarquer sur une île ! Depuis l'enfance, j'ai toujours eu peur de l'eau ; dès que je vois la mer, je suis morte de peur... je n'aurais jamais le courage de monter sur un navire pour traverser l'océan ! Et puis, en ces temps modernes, s'il faut se déplacer loin, on prend tout simplement l'avion et pas le bateau pour aborder comme cela sur une île...C'est vraiment incompréhensible !

Quant à oncle Yên, je comprends encore moins, c'est quelqu 'un de droit et d'honnête, il n'a jamais agi contre la loi, comment se fait-il qu'il puisse ête emprisonné ? A moins qu 'il n'ait été condamné parce qu 'il aurait fait une erreur médicale ?... Non, non, c'est totalement impossible !

Quant à mère et mon frère Nam, dans une chambre d'hôtel ! À quoi ça rime ? Oncle et madame Hoà aux Etats-Unis, et oncle Bích et sa femme, sur la petite île. Qu'est-ce que cela veut dire ?... De fatigue, Liên finit par s'endormir...

Les rires des enfants dans la cour de la maison ont tiré Liên de son sommeil. C'est bien la voix de sonfrère Nam. Elle tend l'oreille... son frère est en train de jouer au foot avec un copain, il sembe que ce soit le fils de oncle Ðính. Liên se lève précipitamment et regarde par a fenêtre, c'et bien cela, son oncle vient d'arriver de Dalat. Elle jette un coup d'oeil à sa montre...il est déjà près de midi !

Elle se dépêche de faire un brin de toilette et descend saluer les nouveaux arrivants, bavader un peu avec ses cousins, puis elle va à la cuisine proposer son aide pour préparer le déjeuner. Une bonne odeur de riz fraîchement cuit, chatouille argéablement ses narines ; le poulet, nourri au grain, vient de la basse-cour familiale ; il est en train de prendre la belle couleur dorée de rôtisserie, c'est la spécialité de la maison, il y a toujours quelques animaux domestiques, prêts à être sacrifiés pour fêter les amis de passage. Madame la Huitième a pris la décision de nourrir toute cette basse-cour, depuis que les aliments sont de plus en plus infectés par les produits chimiques. Elle en a largement suffisamment pour la consommation familiale, il lui arrive de les vendre de temps à autre le surplus.

Liên s'occupe de laver la salade et de préparer les fines herbes amenées par madame Ðính de Dalat, le climat tempéré de la région est propice à la culture maraîchère et madame Ðính cultive de nombreux et divers légumes dans son jardin potager, elle en fait largement profiter la famille chaque fois qu 'elle vient. La salade, cueillie le matin même, étale ses belles feuilles vertes. madame la Huitième a bien essayé de repiquer quelques plants dans le jardin, mais la chaleur tropicale et la volaille causaient un tel désastre qu 'elle a dû y renoncer.

Lorsque Liên arrive dans le salon, monsieur et madame Ðính sont en train de discuter avec sa mère, ils avaient tous trois, l'air grave. Habituellement, dès qu'ils la voient, ils ne manquent pas de lui demander des nouvelles et de rester à bavarder longuement avec elle ; aujourd'hui, ils se contentent juste de répondre à son salut par un hochement de tête, indifférents à sa présence. C'est certain, ils doivent être entrain de discuter de l'avertissement donné , hier au soir, par son père... ils sont tous soucieux et préoccupés, ne comprenant pas le pourquoi ni le comment des changements entrevus.

Après le déjeuner, ils se rendent tous chez monsieur madame Bích. Liên les accompagne, elle a quelques courses à faire en ville. Nam reste à la maison avec ses cousins. Il est bien entouré et il n'a plus peur de rester seul. D'ailleurs, il ne comprend rien à toute cette histoire et somnoler à moitié, comme il l'a fait depuis quelques jours, ne lui convient pas du tout ; c'est pourquoi après leurs jeux, les trois enfants fatigués sont allés se coucher tôt, sans déranger personne.

Toute la maisonnée anxieuse, se retrouve à nouveau à attendre la venue de monsieur Bình... mais en vain ! Minuit est déjà passé... monsieur Bình n'est toujours pas là. Madame Bích a allumé les bâtonnets d'encens pour implorer le ciel, les esprits, l'esprit de monsieur Bình... Liên, elle aussi, a concentré toute son énergie pour communiquer avec son père, mais toujours sans effet, aucune réponse en retour... La déception est grande, surtout pour monsieur et madame Ðính qui ont fait exprès le voyage de Dalat-Saigon afin de le voir. L'attente s'était prolongé jusqu 'à une heure du matin, et comprenant que monsieur Bình ne viendra pas, ils sont allés se coucher, espérant que le lendemain, monsieur Bình allait revenir...

Mais, le retour du royaume des ombres ne s'est plus jamais renouvelé... Quelques semaines plus tard, Liên pour la dernière fois avait capté du lointain, très faiblement , la voix de son père qui lui disait : "Adieu, ma fille, Adieu, pour toujours !" Liên a essayé de lui parler encore une fois, mais sans résultat, elle n'a pas pu communiquer avec lui. Est-ce parce qu 'il a été condamné pour avoir enfreint la loi céleste en révélant le futur de la famille ou bien est-il revenu sur terre dans un nouveau cycle de vie ?

Liên garde à jamais en mémoire, cette soirée exceptionnelle où son père avait annoncé à la famille, le futur, elle se souvient encore, c'était le 17 Juillet 1974. On connaît tous les évènements qui se sont déroulé au printemps 1975, exactement comme l'avait prédit monsieur Bình. Liên s'était marié, son mari suivait avec elle des études en licence de lettres, ils ont fui par la mer et séjourné sur la petite île de Poulo Bidong. Nam poursuit des études techniques pour devenir ingénieur, sa mère madame Bình est secrétaire dans une entreprise. Elle garde sur l'autel des ancêtres, la photo de son époux, monsieur Bình à l'âge de vingt ans lorsqu'ils se sont connus.

Monsieur Yên, après avoir passé trois ans en camp de rééducation a été libéré pour bonne conduite ; il a quitté le pays sur une embarcation de fortune, il a pu avec les deux autres couples monsieur madame Ðính et monsieur madame Bích, rejoint les Etats-unis et se sont établis à Anaheim en Californie. La famille de monsieur madame Hoà, Nam et sa mère madame Bình ont pu être évacués par hélicoptère le 28 Avril 1975, sur les Etats-Unis. Madame Bình s'est par la suite installé en France. Liên de temps à autre revoit son père en rêve, mais jamais plus, n'a pu communiquer avec lui.

Ecrit par Tô Vũ d’après le récit de Liên à Paris en 1981

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Tô VÛ